Tandis que le déconfinement s’annonce de manière décousue, la solidarité des géants de la tech se chiffre à coup de millions : 1 milliard de dollars pour Twitter, 25 millions pour Facebook, 100 millions pour la famille Gates, idem pour le fondateur de Dell… Les licornes du numérique ne sont pas en reste. Uber se targue d’offrir des milliers de trajets et de repas aux personnels des Ehpad et multiplie les partenariats afin de de soutenir les États et les populations des pays qui l’ont laissé s’implanter. « Nous avons besoin des milliardaires pour faire don de leurs ressources lorsque l’État a échoué », déclare la politologue américaine Megan Tompkins-Stange. « En même temps, ouvrir toutes ces voies aux philanthropies pour répondre aux besoins du public – même à court terme – leur offre plus d’espace après la crise pour en tirer parti dans une nouvelle légitimité démocratique », alerte-t-elle.
Alors que, à peine entrée en vigueur, la taxe Gafa visant les géants du numérique a été suspendue, l’association de fiscalistes TaxCOOP partage le même constat : « Fiscalement, les démocraties ont reculé de quelques siècles pour revenir au temps où la noblesse était pratiquement exemptée de contribuer au bien commun. Aujourd’hui, la super-richesse est peu ou pas imposée et, comme à l’époque de la noblesse, elle est surreprésentée auprès des États. Avec le régime des fondations privées de charité en vigueur dans plusieurs pays, il faut craindre que les dons d’apparence charitables qui pourraient être faits par des entreprises, des personnes ou des fondations de milliardaires ne viennent encore affaiblir la démocratie par l’illusion d’une générosité substitutive à la contribution des États. »
Alors que l’on redoute une récession économique sans précédent comme première séquelle de la pandémie, ne serait-il pas grand temps de rebattre enfin les cartes ?
Hélène Manceron