L’affaire Uber Files vs Emmanuel Macron ou la perte du sens commun – E. Cordier, présidente FNDT

Comme tout un chacun, nous avons pris en compte les révélations du consortium international des journalistes d’investigation survenues ce dimanche. Avons-nous été surpris ? Sur le fond non, sur la forme oui !

Les taxis pourraient avoir une réaction virulente tant notre profession a subi les coups de boutoir de l’ubérisation et, de facto, la volonté politique affichée de mettre à bas notre activité.

Cependant, il convient de faire fi de l’émotion pour se consacrer aux questions de fond qui apparaissent dans ce dossier. Nous mettrons de côté la question du droit dans un premier temps car celle-ci ne se pose pas en termes usuels. À l’époque des faits, l’action du ministre en poste n’avait, de prime abord, rien de répréhensible légalement, sauf que…

Emmanuelle Cordier, présidente FNDT

Il y a plusieurs niveaux d’analyse à faire. Le premier est politique.

On s’aperçoit qu’un ministre, homme politique chargé de gérer la cité, a manœuvré en coulisse pour faire avancer sa vision sans considération ni pour ses collègues du gouvernement, ni pour sa ligne politique. Il est à noter que le ministre d’alors n’était pas élu, ses idées, sa volonté n’ayant pas été soumises au suffrage universel. Ce qui pose une difficulté morale et politique sur son positionnement et le fonctionnement du gouvernement de l’époque, le ministre de l’Économie, futur président, ne pouvant se prévaloir de l’onction du suffrage.

La ligne d’explication – sinon de défense – de l’Élysée dans ce dossier paraît particulièrement ténue car elle consiste en deux éléments distincts. C’était son rôle et sa fonction en premier lieu de déréguler une profession réglementée, sclérosée pensait-il sûrement, mais aussi d’assumer clairement ses actions ce jour en omettant toutefois quelques parties qui dérangent.

Comment dire et soutenir que l’on crée des emplois sans se préoccuper d’en détruire d’autres ? Comment soutenir et faire action de lobbying au profit d’intérêts extraterritoriaux au détriment de ceux des territoires que l’on administre ? Enfin la doxa mise en avant manque particulièrement de connaissance – à dessein ? – du sujet, de ses interactions, de sa réalité sociologique et économique. La question n’est pas de savoir, Monsieur le Président de la République, si vous pouviez et deviez parler à des dirigeants d’entreprises étrangères ou pas mais seulement de savoir si vous aviez le droit de prendre parti pour eux au détriment d’une profession et de leurs familles établies, elles, en France.

Quels que soient les reproches que l’on peut faire à une profession réglementée, il n’appartenait pas au ministre de l’Économie d’agir puisqu’en 2014, la tutelle de la profession de taxi était sous l’égide du ministère de l’Intérieur avant qu’elle soit transférée à celui des Transports.

Ce point mérite attention car un ministre, sauf à se prévaloir d’un enjeu interministériel, ne peut agir de hors de son champ de compétence sans que se pose une question de légalité de son action. Nous venons de le souligner, une éventuelle dérégulation du transport particulier de personnes n’était ni du rôle ni de la fonction du ministre de l’Économie. Quant à la question de la morale politique, je laisse seuls juges les lecteurs.

Le second niveau d’analyse de la situation repose sur les assertions avancées. Voulant favoriser l’émergence d’un modèle alternatif, quand bien même le droit et la réglementation ne le permettaient pas forcément, il a été recommandé aux services de l’État la plus extrême bienveillance, allant jusqu’à préconiser la non-application de la loi et de la réglementation en vigueur dont il était pourtant comptable.

Si l’on suit le raisonnement à l’extrême, pas de contrôle, pas de vision des irrégularités, pas de sanction au motif de la création d’emplois. La notion d’État de droit semble bien nébuleuse.

Nous sommes ici clairement confrontés à un manquement à l’éthique et au droit incluant au passage le droit constitutionnel. À charge pour le gouvernement et ses membres de faire respecter et appliquer la loi sans discrimination et en toute égalité. Il y a manifestement sur ce point une violation de la charge qui lui incombait. D’autre part il reste la question de l’orientation des écritures des textes relatifs à cette profession réglementée par la DGITM qui ne manque pas de nous interpeller à l’aune de ces révélations. Tout comme peuvent être clairement mises en cause les disposions contenues dans la LOM concernant en particulier la création du 3e statut pour les travailleurs des plateformes.

C’est en effet l’élément final témoignant de la volonté manifeste et assumée de déstructuration de notre profession. La manœuvre fut subtile. Prenant soin d’introduire une disposition permettant d’empêcher les recours en requalification des contrats commerciaux en contrats de travail, il a été défini un 3e statut de travailleur indépendant dissimulé derrière une partie sociale afin de donner quitus aux plateformes numériques de marché. La nomination d’un ministre issu des rangs des taxis permettra de valider ce fameux 3e statut par défaut. Est-ce exactement ce qui s’est produit ? À chacun d’en juger… Certains applaudiront la mise en scène ; pour notre part, nous pointons le déni de ce que nous sommes et représentons.

Il est tout aussi patent que ces démarches que certains pourraient taxer de dolosives sont le fait d’un entrisme marqué. Que l’on sache que les taxis ne sont pas reçus à l’Élysée ni même au sein de leur propre ministère de tutelle pour faire valoir leurs considérants.

Nous laisserons de côté la justification de cette politique, prétextant fournir du travail aux « jeunes des banlieues », condensant ainsi de façon un peu courte l’entièreté d’une profession aux banlieues, alors même que les taxis sont présents sur l’ensemble du territoire. Nous ferons l’impasse sur l’opposition formulée entre les détenteurs des autorisations de stationnement visés par le ministre/président qui sont issus des mêmes banlieues que les chauffeurs de VTC, opposant ainsi les fils aux pères. Conflit générationnel, quand tu nous tiens ou, à tout le moins, quand tu nous sers de prétexte au nom d’une l’intégration au détriment d’une autre.

Cependant le plus surprenant dans cette histoire, c’est le peu de cas qui a été fait des femmes et des hommes qui travaillent et contribuent à l’économie française conformément aux règles de l’État de droit. Les chefs d’entreprises de taxis qui salarient 30 000 personnes, s’acquittent de leurs contributions sociales et fiscales, ont été méprisés au profit d’une entreprise qui ne respecte pas le droit national et pratique l’optimisation fiscale.

Alors oui, nous considérons qu’il y a fautes ! Faute morale, faute d’argumentaire, faute politique, faute de champ de compétence, faute de droit, faute de vérité…

Monsieur le Ministre, Monsieur le Président, vos fonctions ne doivent pas vous conduire à trahir les citoyens que vous représentez et administrez, d’autant que lorsque votre mandat n’est pas sanctionné par le suffrage, rien ne vous y autorise.

De ces mots, peu de cas sera fait sans doute ; néanmoins ils auront le mérite d’exister et d’être porteurs de nos positionnements futurs.

En résumé, cette position aurait pu s’entendre si elle avait été émise par un ministre américain de l’Économie. Le terme avancé de création d’emplois venant d’un Président de la République de surcroît ancien ministre de l’Économie – sachant qu’à terme, les véhicules autonomes remplaceront ces pseudo-emplois – peut laisser perplexe.

Où sont les cotisations sociales réglées par cette multinationale ?

Concernant le volet fiscal, où sont les recettes de TVA réglée par cette firme ? Et quid de l’impôt sur les sociétés ?

Concernant l’activité prétendument créée, de quelle qualité parle-t-on lorsqu’on lit dans les médias que le revenu moyen des chauffeurs est de 590 euros mensuels, sans droit à l’assurance chômage, ni à la couverture maladie, ni à l’assurance retraite…

Tout ce volume d’activité qui favorise la précarité est, de plus, préjudiciable à l’activité de l’ensemble des acteurs du T3P.

En conclusion, notre Fédération propose de travailler avec tous les parlementaires de façon constructive afin de trouver des solutions pérennes mais se réserve aussi le droit d’envisager toute action qu’elle jugera nécessaire.

E. Cordier, présidente FNDT

Plus d’info – www.fndt.fr

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