Contre le projet de réforme des retraites du gouvernement, les avocats jettent leurs robes noires et les personnels hospitaliers leurs blouses blanches aux visages des politiques venus grimacer leurs bons vœux ; à Clermont-Ferrand, les professeurs ont lancé leurs manuels par-dessus les grilles du rectorat. Quoi de plus fort que d’abandonner aux pieds de sa hiérarchie les emblèmes de sa fonction sanitaire, éducative ou sociale ?
« Je rêve d’une société où il n’y aurait pas de retraite, où travailler serait naturel… », confiait en avril 2015 Jacques Attali au Monde Magazine. « Être son propre patron permet de maîtriser son propre temps, c’est confortable », poursuivait-il. Prônant une gig economy où « recruter » se dit « mettre en place un partenariat » ; où « salaire » se confond avec « chiffre d’affaires » et où « renvoyer » se traduit par « mettre fin à la relation », le souriant économiste-écrivain-consultant, aujourd’hui septuagénaire, n’a jamais cessé de susciter la polémique. En 2007, face à la résistance de la profession dans sa tentative de déréglementation du taxi, ses préconisations avaient alors motivé le gouvernement de l’époque à dévoyer le secteur en ouvrant la boîte de Pandore des VTC. Coup dur pour les taxis qui ont dû traverser plusieurs années de crise avant de voir redorer leur blason dans la jungle actuelle du transport public particulier de personnes. Refusant à l’époque de sacrifier leurs entreprises et leurs emplois, les taxis avaient également fait échouer le projet de rachat des licences avancé par un établissement bancaire prêt à tailler à l’État un emprunt sur mesure… Une anecdote qui fait écho aujourd’hui aux conflits d’intérêts qui ébrèchent le projet de réforme des retraites et la crédibilité de l’action politique.
En juillet 2015, l’inénarrable Carlos Ghosn, alors P.-D.G. de Renault-Nissan et futur évadé fiscal, prédisait : « Dans 20 ans, il n’y aura plus de taxi ! » Finira-t-il sa course en stop ?
Hélène Manceron
Photo de couverture Lyon 2020 ©DoYouSpeakTaxi ?