À Genève, il y a les taxis de « service public », avec leur bonbonne* jaune, et les taxis « privés », à bonbonne bleue. À cela s’ajoutent les limousines, les taxis des cantons voisins, les taxis français, les taxis pirates… Genève est un vaste gâteau international où tout le monde vient picorer. L’arrivée d’Uber l’année dernière a mis le feu aux poudres, d’autant que ses chauffeurs ont démarré en pratiquant des tarifs inférieurs à ceux des taxis !
Une situation particulière
Les 1 400 taxis genevois se répartissent en deux catégories. À ma droite, les « jaunes » : assimilés à du service public, ils pratiquent des tarifs au compteur fixés par la loi, ont l’obligation d’être affiliés à un central radio, d’accepter toute destination et le paiement par carte de crédit ainsi que d’assurer un service 24/24. En contrepartie, ils bénéficient des couloirs de bus, des stations réparties sur le domaine public… et d’une réputation exécrable auprès d’une partie de la clientèle et surtout des médias. À ma gauche, les « bonbonnes bleues », des taxis « privés » sans contingentement ni obligation particulière de service, mais qui ne peuvent utiliser ni les voies réservées ni les stations. Avec l’arrivée d’Uber, en octobre 2014, la situation n’a pas tardé à dégénérer, à tel point que les autorités du canton ont décidé de prendre les choses en main.
Pour une concurrence équitable
Partisan déclaré de la libéralisation, Pierre Maudet, conseiller d’État en charge des taxis, a dû se résoudre à modifier la loi pour éviter l’explosion. Il répond point par point aux arguments du géant californien : « Uber ne met pas en relation l’offre et la demande à titre gracieux mais touche bien de l’argent sur cette activité. Il est donc pour le moins curieux d’affirmer qu’Uber n’a pas une activité analogue à celle d’une centrale de taxi ? » Et quand Uber se définit comme un simple opérateur virtuel, il ajoute avec une pointe d’humour : « Dans la mesure où Uber n’offre pas (encore) comme prestation de se télétransporter d’un endroit à l’autre, sans faire usage du domaine public, elle est logiquement soumise à la loi régissant le transport de personnes. » Tout en se déclarant prêt à accueillir la multinationale « à condition qu’elle remplisse les conditions fixées par l’actuelle loi sur les Taxis et Limousines », il conclut : « Je n’ai actuellement pas de marge de manœuvre pour permettre à Uber d’exercer son activité. »
Une loi pour quoi faire ?
Face à lui, Jacques Roulet, avocat des « taxis jaunes », lui aussi un libéral. En fin connaisseur de la profession, il reste néanmoins lucide : « Mon cœur […] irait volontiers vers la dérégulation et la libéralisation. Mais ça ne marche pas, c’est l’expérience qui le dit, partout dans le monde. » Aux défenseurs d’une concurrence maîtrisée à la Pierre Maudet, il rétorque : « La concurrence existe déjà dans le cadre légal actuel ! Uber pourrait s’y conformer, ouvrir une centrale à Genève et exercer sous le régime des taxis bleus, qui ne sont pas soumis à numerus clausus. Ce qui ne va pas, c’est qu’Uber encaisse l’argent des clients sur son compte à San Francisco et ne paie ni impôts ni TVA en Suisse. […] Uber n’a aucune envie de rentrer dans le moule. Je ne vois pas très bien quelle nouvelle loi serait compatible avec ce modèle d’affaires, qui a la prétention de s’affranchir de toutes règles. »
LT
* Lumineux.