La course engagée, un message s’affiche sur l’écran de bord de mon taxi. « Nous allons faire un léger détour car le secteur est bouclé à cause de la commémoration de l’attentat au Bataclan », me prévient mon chauffeur. Dix ans déjà mais l’effroi et la sidération qui nous avaient saisis restent à vif dans les mémoires. Je lui demande : « Vous étiez déjà taxi à l’époque ? » « Oh oui, je me souviens très bien. J’étais à la maison avec ma femme et mes enfants mais avant même que la télé nous informe, un de mes collègues m’a appelé. « Viens vite, il y a eu un attentat. C’est la panique, on a besoin de renfort ! » Alors, j’ai pris mon taxi. » « Que s’est-il passé ? » « Je n’ai pas comme certains de mes collègues emmené de blessés directement dans les hôpitaux mais j’ai vu des Parisiens et des touristes désorientés. Tout le monde voulait rentrer chez soi au plus vite pour se mettre à l’abri. J’ai pris deux dames dont la plus âgée pleurait sans cesse se remémorant ses souvenirs de la guerre. J’ai pris un jeune couple dont les téléphones sonnaient en permanence appelés par leurs proches qui s’inquiétaient. J’ai pris un homme d’apparence pourtant solide qui avait du mal à respirer tellement la peur l’étouffait. Je me souviens aussi de cette femme qui sanglotait assise sur le bord d’un trottoir, en état de choc. Elle avait perdu son sac. Je l’ai déposée chez une amie… La majorité des courses a été gratuite et j’appelais ma femme entre chaque pour la rassurer. Vers 7 h du matin, on s’est retrouvés avec des collègues pour prendre un café mais on pouvait à peine parler. » Après un silence, il reprend : « Puis il y a eu le couvre-feu. La ville était étrange. Les gens craignaient de prendre le métro, personne ne voulait rester dans la rue. Ensuite, petit à petit, comme pour défier la mort, beaucoup sont retournés dans les bars et les restaus, la vie a fini par reprendre… » « Aujourd’hui, vous y pensez encore ? » « J’en parle là avec vous mais ça me rend toujours triste. Je préfère me taire par respect des familles qui traversent encore le pire. » Un nouveau silence s’installe dans le véhicule. « La seule chose qui me fait péter les plombs, c’est quand des salopards se réclament de ma religion ! » conclut-il.
L’esprit républicain et la fraternité dépassent les confessions. Que ça aussi, on ne l’oublie pas !
Hélène Manceron








