Arrivée place de la Bastille, les véhicules qui nous entourent sont éparpillés façon puzzle. Plus personne ne bouge, coincé par son voisin ou tétanisé par un vélo ou un deux-roues qui tente de se faufiler dans cet immense bazar. Levant les mains de son volant comme à l’issue d’une compétition de cuisine, mon taxi s’abandonne dans le dossier de son siège. « Un souci ? » « Non, nous allons les laisser régler leurs problèmes d’ego », me répond-il en souriant avant de m’expliquer « Chacun veut passer en premier. Si l’un bouge, l’autre avance. Personne ne veut rien céder de peur de perdre sa place. Les embouteillages, c’est comme le jeu du taquin. Vous connaissez ? » Inventé à la fin du XIXe siècle, cet ancêtre du Rubik’s Cube a pour but de disposer dans l’ordre une suite de blocs numérotés en les déplaçant grâce à une case vide.
Tout d’un coup, une voie se dégage devant nous. Mon chauffeur saisit l’opportunité et nous nous poursuivons notre route sur une chaussée dégagée. « Je vous l’avait dit, la meilleure façon de s’en sortir était d’attendre en laissant se créer un vide », savoure-t-il. « Il suffit de regarder comment font les fourmis ! Bon d’accord, elles ne connaissent ni feux rouges, ni code de la route… » me taquine-t-il. Intriguée, je mène mon enquête une fois rentrée chez moi. La circulation des fourmis a fait l’objet de très sérieuses études scientifiques : « Les fourmis accélèrent jusqu’à atteindre la capacité maximale d’individus que peut supporter la route. Lorsque la densité devient trop importante et que les collisions entre fourmis sont trop nombreuses, les fourmis changent alors de stratégie : elles préfèrent éviter les collisions coûteuses en temps plutôt que de continuer d’accélérer. À trop forte densité, les fourmis ne s’engagent plus sur la route et attendent simplement qu’elle diminue pour se lancer », dixit le Centre de recherche sur la cognition animale de Toulouse.
Les fourmis seraient les championnes de la circulation avec comme mot d’ordre organisation et communication ! Alors que les Français perdent en moyenne 23 heures par an dans les bouchons, certains constructeurs automobiles réfléchissent à intégrer dans leurs véhicules l’intelligence de nos amies à 6 pattes.
Il ne nous reste plus qu’à nous équiper d’un exosquelette !

Hélène Manceron

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