Après avoir quitté la gare, mon taxi traverse un petit village. La nuit précoce de fin d’après-midi fait disparaître le paysage. Seule la boulangerie dont la devanture ressemble plus à un magasin de farces et attrapes avec ses citrouilles, toiles d’araignée, faux squelettes et autres décorations d’Halloween, est éclairée sur notre passage. Une sonnerie rompt le silence et après s’être excusé, mon chauffeur actionne le haut-parleur de son véhicule. C’est une cliente qu’il connaît bien et qui semble désespérée.
« J’ai appelé votre collègue mais il est déjà réservé. Vous êtes sûr que vous ne pouvez pas venir la chercher demain ? », implore la dame. « J’en suis désolé mais je n’ai pas le droit de prendre votre mère en charge pour l’accompagner à son soin, je ne suis pas conventionné », lui explique-t-il. On entend les sanglots monter dans la voix de l’interlocutrice. « Comment vais-je faire ? C’est moi qui l’accompagne d’habitude mais avec ma cheville immobilisée, je ne pourrais pas conduire avant 6 semaines. J’ai peur pour ma mère si l’on arrête sa thérapie… » Visiblement bouleversé, mon chauffeur répond « On va trouver une solution. Je vous rappelle. » S’arrêtant à un stop, il s’empare de son smartphone et envoie un message avant de redémarrer. « Alors, vous avez trouvé ? » « Je n’en sais rien », me répond-il. « J’ai envoyé un message aux collègues pour voir si l’un d’entre eux peut bousculer son planning. »
Dans le cadre du projet de loi de finances (PLFSS) 2024, le gouvernement affirme sa volonté de faire faire, quoi qu’il en coûte, des économies à l’Assurance maladie. Hôpitaux, médicaments, arrêts de travail, mais aussi transport des malades sont dans le collimateur. Arc-bouté dans sa logique comptable, il en oublie le vieillissement de la population et sa progressive perte d’autonomie, les conséquences mécaniques de la délocalisation des centres de soins au profit de plateformes hospitalières décentralisées. Il en oublie que la politique d’hospitalisation à domicile oblige à moult va-et-vient pour les soins, que la maladie fragilise les foyers et démunit même les plus forts.
Le climat se réchauffe et les déserts sont déjà là, numériques comme médicaux.
Hélène Manceron








