100% Edito : Taxi de diaspora

Depuis le début de la course règne une ambiance inhabituelle et pourtant tout se passe bien. Mon taxi est poli, prévenant et déjoue les pièges de la circulation parisienne. Croisant son regard dans le rétroviseur, j’engage : « Dure journée ? » Après un soupir, il répond : « Je suis Marocain. Ma famille a échappé au pire mais je ne peux pas m’empêcher de penser à demain. »
Ce n’est pas un scoop, le taxi est un kaléidoscope de communautés : Portugais, Marocains, Algériens, venus d’Asie ou d’Europe de l’Est, Sénégalais, Haïtiens, Cambodgiens, Vietnamiens… L’origine des chauffeurs suit les fluctuations de l’économie, de l’Histoire et des flux migratoires. Les Russes blancs chauffeurs de taxi font partie aujourd’hui de la mythologie de la profession. « En 1920, la Préfecture dénombre 8400 taxis à Paris », raconte le rédacteur du blog lestaxis.fr. « Le métier offre de sérieux avantages : ce n’est pas un travail de fonctionnaire, des horaires souples permettent de mener parallèlement une activité politique et d’assister, à toute heure du jour et de la nuit, aux réunions destinées à « sauver la Russie » des bolcheviks. […] Près de 3156 chauffeurs de taxis russes, dont 1481 à Paris et 1265 en banlieue, sillonnent la capitale. »
Ce n’est pas une exception française. Au Canada, en 2012, la moitié des chauffeurs de taxi sont des immigrants et pas des moindres ! Dans son rapport, le ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté indique en effet que « la conduite d’un taxi s’est avérée être l’emploi principal de 255 personnes titulaires d’un doctorat ou d’un diplôme en médecine (ou un domaine connexe), dont 200 immigrants ».
Depuis que j’ai amorcé la conversation, mon chauffeur est devenu intarissable. Si la catastrophe n’a pas échappé aux controverses sur l’aide d’urgence et la géopolitique, le formidable élan de solidarité de la société civile française le réconforte. Lorsque je lui demande pourquoi il s’est engagé dans la profession, il me répond : « D’où qu’ils viennent, les chauffeurs de taxi sont sur un pied d’égalité. Une réglementation stricte cadre le métier mais chacun reste libre. Que l’on soit homme ou femme, jeune ou vieux, nous sommes tous collègues. » N’y aurait-il pas là matière à faire une devise ?

Hélène Manceron

Feuilleter 100% NEWS TAXIS n°258

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.